Qu'est-ce que la science ?
Introduction
Le but de l’épistémologie est de trouver un critère permettant de distinguer une discipline scientifique d’une discipline non-scientifique. Plus précisément, l’objectif de l’épistémologue est triple, le critère doit autant que possible : A. inclure les disciplines dont la scientificité ne fait pas débat (physique, chimie, biologie) et exclure les disciplines dont la non-scientificité ne fait pas débat (homéopathie, astrologie, artisanat, religion, football…) ; B. donner des outils au scientifique pour déterminer laquelle de deux théories concurrentes est la meilleure ; C. expliquer pourquoi les sciences ont rencontré leurs succès historiques et produisent de la connaissance.
Pour présenter la discipline, je m’appuie sur le livre de Alan Chalmers, Qu’est-ce que la science et celui de Paul Feyerabend, Contre la méthode. Je commencerai par présenter la thèse de Feyerabend qui affirme qu’un tel critère n’est ni possible ni souhaitable. Je continuerai en présentant quatre approches d’épistémologues du XXè siècle et j’expliquerai en quoi elles échouent tout de même à répondre à toutes les critiques de Feyerabend. Je finirai en évoquant brièvement les pistes envisagées par les épistémologues modernes pour contourner ces écueils.
A noter que je ne parlerai pas du débat philosophique autour de la notion de connaissance (voir ici, ou pour plus de détails ici), ni du paradoxe de Ménon (voir ici), implicites dans la problématique.
Paul Feyerabend
Feyerabend évoque dans son livre plusieurs difficultés que les philosophes devront surmonter dans leur recherche.
i) La dépendance de l’observation à la théorie : Toute observation sur le monde dépend toujours d’un cadre théorique. Il n’existe rien de tel qu’une pure description de la réalité qui n’aurait pas des présupposés théoriques. Par exemple une simple obervation d’atomes avec un microscope à effet tunnel. En effet, il faut savoir que son principe de fonctionnement repose sur de la mécanique quantique très avancée. Ainsi, pour voir des atomes il faut d’abord connaitre leur existence. Même pour une un énoncé aussi trivial que “l’objet est rouge”, il faut au préalable avoir construit le concept de couleur, et s’être mis d’accord sur des catégories.
i’) L’incommensurabilité des théories : Cette dépendance de l’observation à la théorie a une conséquence importante pour l’objectif B. Deux théories peuvent être si éloignées que les énoncés d’observation1 de l’une ne puissent pas se décrire dans le langage de l’autre. Un bon exemple est la mécanique quantique et la relativité générale. Elles pourront alors ne partager aucun énoncé d’observation, et par conséquent il sera impossible de partir d’un énoncé d’observation pour comparer objectivement deux telles théories. Il sera bien sûr toujours possible de juger chaque théorie par leur conformité vis-à-vis de leurs énoncés d’observation respectifs, mais ce jugement aura toujours une part de subjectivité : quels critères choisir pour jauger la conformité?
ii) Le genèse mouvementée des théories : Feyerabend défend la thèse que les scientifiques n’ont jamais suivi aucune méthode lorsqu’ils ont développé leurs théories, et en particulier aucune des quatre présentées plus loin dans ce billet. Il prend extensivement pour exemple Galilée pendant la période où il a développé sa physique et son géocentrisme. Si sa théorie s’est imposée ce n’est pas en convaincant ses contemporains par des démonstrations rigoureuses, mais plutôt pour des raisons sociales. Dans les faits, Galilée était empêtré dans des systèmes d’interprétation des observations différents de ceux des théories qu’il finira par développer (cf point i’)). Un exemple parfait de cette situation est l’explication par Galilée des marées, pour lequel, par soucis de concision, je me contente de renvoyer le lecteur à cet article dans la section La combinaison de la rotation et de la révolution la Terre : Galilée.
Feyerabend ajoute que ce tâtonnement est normal, il faut laisser du temps aux scientifiques pour développer une théorie complète et cohérente. Les étapes intermédiaires sont nécessairement brouillonnes et pleines de contradictions. Toutefois, cette anarchie pose une sérieuse difficulté aux épistémologues au regard de l’objectif C.
ii’) L’anarchisme méthodologique : Feyerabend ne se contente pas de décrire un fait historique lorsqu’il expose son point ii), il est prescriptif. Il défend que la science doit ne pas avoir de méthode. Les situations rencontrées par les scientifiques sont si diverses et complexes qu’il est illusoire d’espérer trouver des critères qui les guideraient en toute circonstance. Pour Feyerabend, toute idée est digne d’être investiguée, y compris ce qui paraît absurde ou réfuté, du moment que cela est fait de manière critique.
L’inductivisme
Selon les inductivistes, la science au contraire est bien une méthode, et les succès historiques de la science s’expliquent par le fait que les scientifiques ont suivi cette méthode.
Exposé de la méthode : Le scientifique observe des phénomènes ponctuels, puis il les décrit de manière objective à l’aide d’énoncés d’observation. Le scientifique est alors justifié à induire un énoncé général, alors appelé loi scientifique, sous 3 conditions :
- un grand nombre d’énoncés d’observation corrobore l’énoncé général,
- les observations ont été faites dans beaucoup de situations différentes,
- aucun énoncé d’observation ne contredit l’énoncé général.
Enfin le scientifique utilise le panel de lois scientifiques pour expliquer de nouveaux phénomènes ponctuels, c’est l’étape de déduction.
Critiques : Les inductivistes n’expliquent pas pourquoi leur méthode fonctionne, car ils ne précisent pas à partir de quel moment on a assez d’observations et assez variées pour justifier l’induction. Aussi, comment justifier que l’induction est une méthode produisant des connaissances autrement qu’en disant que ça a toujours marché… et donc en faisant une induction ? C’est le paradoxe de l’induction.
Une autre faiblesse majeure est surtout que cette approche tombe précisément dans la critique i) de Feyerabend : il n’existe pas d’énoncé d’observation pur préexistant à toute théorie.
Enfin, de toute manière dans la pratique les scientifiques n’ont pas suivi cette méthode. Einstein n’a pas procédé par inductivisme pour développer sa relativité, mais est plutôt parti d’une hypothèse (la vitesse de la lumière est la même dans tous les référentiels) et a utilisé des expériences de pensée pour en explorer les conséquences sans se soucier d’observer quoi que ce soit. Ainsi, l’inductivisme échoue à atteindre l’objectif C.
Le falsificationnisme de Popper
Selon les falsificationnistes, dont le plus connu est Karl Popper, la science est une activité épistémique respectant un critère de falsifiabilité, et les succès historiques de la science s’expliquent par le respect de ce critère.
Enoncé du critère : Cette fois le scientifique commence avec une hypothèse, plutôt qu’avec des observations. On doit pouvoir déduire de cette hypothèse des énoncés d’observation. Le scientifique est alors justifié à appeler son hypothèse une théorie scientifique, sous deux conditions :
- L’hypothèse a fait des prédictions fructueuses, c’est-à-dire que certains énoncés d’observation prédits par l’hypothèse ont été vérifiés par l’expérience. Par ailleurs, il faut que ces prédictions aient été inédites et audacieuses.
- Aucun énoncé d’observation impliqué par l’hypothèse n’a été contredit par l’expérience.
Points positifs : Les falsificationnistes affirment que leur critère atteint ses objectifs car :
- Il est logiquement valide, le paradoxe de l’induction est levé,
- On a un critère qui permet de choisir entre deux théories non falsifiées : la meilleure est celle qui est la plus générale et la plus précise, car c’est celle qui fait le plus de prédictions et est la plus falsifiable. Ainsi, au fur et à mesure des réfutations et du raffinement des théories considérées, la science progresse et l’objectif B semble atteint par les falsificationnistes.
- Il corrige le problème de dépendance des observations à une théorie ii) de Feyerabend.
Critiques :
- Le problème majeur du falsificationnisme est qu’il arrive que ce soit les observations qui soient fausses, plutôt que la théorie. Par exemple lorsqu’on a cru observer des neutrinos aller plus vite que la lumière, il s’est avéré que c’était l’expérience qui était erronée. De plus, même lorsque l’instrument de mesure et son interprétation sont correctes, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille immédiatement abandonner la théorie. Par exemple lorsqu’on a mesuré des écarts aux prédictions de Newton dans l’orbite de Uranus, cela ne signifiait pas que sa théorie était fausse, mais qu’une autre planète encore non détectée perturbait son mouvement. C’est la fameuse histoire de la découverte de Neptune par les calculs de Le Verrier.
- Dans la pratique, les scientifiques n’ont pas respecté ce critère. L’histoire des sciences fourmille de moments où, malgré une observation qui allait à l’encontre d’une théorie, on a laissé le temps à la théorie de maturer, ou à une explication plus précise d’émerger, plutôt que d’abandonner la théorie. Outre les exemples déjà donnés des neutrinos ou de Neptune, on peut citer le paon dont l’anatomie a été difficile à expliquer pour les premiers biologistes avant qu’ils ne développent le concept de selection sexuelle. On peut aussi évoquer le fait que la taille apparente de Vénus dans les premiers téléscopes ne changeait pas en fonction de sa distance à la Terre. Ce phénomène s’explique pourant par des effets d’optiques. L’objectif C n’est donc pas atteint.
- Le critère n’est pas assez inclusif car on ne fait pas d’expérience en histoire. Cela signifie-t-il pour autant que l’histoire n’est pas une science ? On peut penser à corriger ce problème en amendant le falsificationnisme de la façon suivante. On peut élargir le concept d’expérience de vérification en y intégrant les découvertes non prévues. Plus précisément, on peut arguer qu’en histoire on pourrait un jour excaver quelque chose qui falsifierait une théorie, et que donc l’histoire est falsifiable. Mais alors le critère devient trop inclusif car les religions deviennent falsifiables (et donc scientifiques) elles aussi, étant donné qu’il est possible d’imaginer qu’un jour nous observions quelque chose qui contredise leur dogme. Par ailleurs, les mathématiques et la théorie de l’évolution ne sont pas scientifiques selon ce critère, car comme elles ne sont rien de plus qu’un raisonnement logique, on ne peut pas imaginer qu’elles soient falsifiées. Toutefois, cette subtilité n’est pas un problème insurmontable pour le faslificationnisme, car ça ne signifie pas que ces disciplines sont mauvaises, seulement qu’elles sont d’une autre nature que scientifique. Ainsi l’objectif A n’est pas atteint non plus.
Les paradigmes de Kuhn
Pour Kuhn, la science est une activité sociale, et de ce fait sa théorie des paradigmes va se concentrer sur la communauté scientifique plutôt que sur les relations entre les théories et les observations comme dans l’inductivisme ou le falsificationnisme.
Esquisse de l’approche : Selon Kuhn, une discipline scientifique consiste en une communauté de pairs qui tentent de résoudre des énigmes que leur pose leur discipline, et cette activité de recherche se décompose en trois étapes qui se succèdent et se répètent à l’infini :
1. La pré-science 2. la science normale 3. la crise/révolution
Dans la pré-science, rien n’est clairement défini, aucune théorie unificatrice n’a encore émergé, les scientifiques sont libres de tenter n’importe quelle approche pour résoudre les énigmes qui se posent à eux.
Dans la science normale, une approche s’est avérée féconde, et à mesure qu’elle reçoit l’adhésion de toujours plus de scientifiques par ses succès et sa maturation, elle devient un paradigme, c’est-à-dire un ensemble unifié de théories et de méthodologies à partir duquel les scientifiques arrivent à résoudre les énigmes.
Dans la crise, des énigmes apparaissent qui résistent aux efforts des scientifiques travaillant sous le paradigme précédent. A mesure que ces problèmes s’accumulent et touchent des points fondamentaux, il devient de plus en plus clair aux scientifiques que l’ancien paradigme doit être dépassé. Ainsi, la crise d’un paradigme correspond à la pré-science du prochain paradigme.
Points positifs :
- Kuhn, contrairement à Popper et aux inductivistes, met en évidence le fait que les théories ont besoin de temps pour arriver à maturation et définir de manière cohérente tous les concepts qu’elles invoquent, et répond donc au point ii) de Feyerabend.
- L’approche de Kuhn est descriptive, ainsi par construction elle correspond assez bien à ce que décrit l’histoire des sciences. L’objectif A est partiellement atteint.
Critiques :
- Kuhn a développé une théorie relativiste de la scientificité en ce qu’il ne propose pas de critère objectif et universel permettant au sein d’une science de choisir entre deux théories concurrentes. Pour lui, un tel choix dépend des représentations, des valeurs et des préférences subjectives du groupe social que constituent les scientifiques. De plus, il ne présente aucun mécanisme (même social) permettant d’expliquer les succès de la science telle que décrite par sa théorie. L’objectif C n’est donc pas atteint, car il n’explique pas le succès historique des sciences, il se contente de les décrire.
- Feyerabend note que le critère de scientificité de Kuhn, c’est-à-dire que la discipline respecte le cycle décrit au paragraphe précédent, permettrait d’inclure le cercle de philosophie d’Oxford ou le crime organisé comme des communautés scientifiques. Ainsi, l’objectif A n’est pas vraiment atteint.
Les programmes de recherche de Lakatos
Pour Lakatos, la science doit suivre une méthodologie universelle, et de ce fait il va prescrire aux scientifiques de suivre un certain programme de recherche (PdR).
Exposé de la méthode des PdR : Un PdR concerne une théorie qui doit être composée d’un noyau dur et d’une ceinture protectrice. Le noyau dur consiste en un ensemble d’hypothèses générales que le PdR définit comme étant des axiomes inattaquables (les lois de Newton en physique newtonienne, le principe de sélection naturelle pour Darwin) et qui forment la base à partir de laquelle la théorie va se développer. La ceinture protectrice consiste en tout le reste, c’est-à-dire les hypothèses auxiliaires qui permettent aux scientifiques d’appliquer les hypothèses du noyau dur pour expliquer des phénomènes précis (modélisation de l’univers pour Newton, descriptions ou hypothèses sur l’environnement pour Darwin). La ceinture protectrice est là pour protéger le noyau dur : si l’observation falsifie la prédiction de la théorie, cela ne signifie pas que la théorie doit être abandonnée, mais plutôt que les scientifiques doivent considérer que la ramification empruntée au sein de la ceinture protectrice doit être corrigée.
Pour ce faire, le PdR donne aux scientifiques une liberté quasi-totale, du moment que le noyau dur est préservé et que les changements opérés ne sont pas ad-hoc mais féconds. En revanche le PdR donne quand même une ligne directrice : il faut chercher à étoffer la ceinture protectrice avec des situations de plus en plus spécifiques et complexes en prévoyant à l’avance les outils théoriques et expérimentaux qu’il faudra développer.
Enfin, un PdR devient une théorie scientifique établie lorsque :
- il est suffisamment cohérent pour être capable de décrire les étapes futures de son développement,
- au fur et à mesure que ces étapes auront été franchies il faut qu’il ait permis de faire des prédictions (si possible audacieuses) qui se soient révélées vraies.
Ainsi, par exemple pour Lakatos le marxisme et la psychanalyse satisfont au premier critère mais pas au second, et la sociologie au second mais pas au premier. Aucune de ces disciplines n’est donc scientifique.
Points positifs :
- Lakatos, comme Kuhn, met en évidence le fait que les théories ont besoin de temps pour arriver à maturation et définir de manière cohérente tous les concepts qu’elles invoquent, et répondent donc au point ii) de Feyerabend.
- L’approche de Lakatos est prescriptive, ainsi elle répond aux questions : quand un PdR devient il scientifique ? Pourquoi la science telle que définie fonctionne ? L’objectif C semble atteint.
Critiques :
- Lakatos ne donne pas vraiment de moyen, au sein d’un programme de recherche, de déterminer laquelle de deux théories concurrentes est la meilleure. L’objectif B n’est pas atteint.
- Lakatos a développé une théorie rationaliste de la scientificité en ce qu’il donne un critère que les scientifiques devraient s’efforcer de suivre et qui expliquerait alors leurs succès. En revanche il n’explique pas vraiment pourquoi ce critère fonctionne. Il s’inspire manifestement de la physique pour développer sa méthodologie des PdR, qu’il voit comme l’archétype de la science. Il se rend donc coupable d’un raisonnement circulaire et ne peut pas expliquer à priori pourquoi les PdR fonctionnent. L’objectif C n’est finalement pas atteint.
Conclusion
Aucune des tentatives des épistémologues du XXiè siècle pour trouver un critère caractérisant la science n’a su faire l’unanimité et répondre à toutes les critiques de Feyerabend. On peut être tenté d’en déduire avec Feyerabend que «tout est bon», c’est-à-dire que la science ne serait rien de plus que la coopération de spécialistes d’un domaine utilisant les outils de la pensée critique et rationnelle. Par conséquent, la méthode scientifique n’existerait pas universellement. Au contraire, les scientifiques seraient forcés d’adapter leurs argumentations à l’objet étudié.
Ainsi, toute discipline, du moment qu’elle est pratiquée avec la démarche collective évoquée, serait tout autant scientifique qu’une autre. Ce qui diffère ce serait l’objet étudié : plus ou moins complexe, qui se prête plus ou moins à l’expérimentation et à la modélisation mathématiques, plus ou moins adapté pour faire des prédictions, et amenant plus ou moins de certitudes sur les théories développées. Bref, la méthodologie appliquée serait bien différente, mais la discipline n’en serait pas moins scientifique.
Je souhaite à présent, dans des billets qui vont suivre, exposer la méthode utilisée par plusieurs disciplines et montrer en quoi elles permettent (ou non) d’aquérir de la connaissance sur le réel.
On peut déjà lire mon billet sur les mathématiques. TO BE FINISHED
Et même si l’angle pris n’est pas celui présenté ici, mon second billet sur le réchauffement climatique présente indirectement la méthode utilisée par les physiciens du climat.
Ouverture
Les épistémologues modernes ont développé plusieurs pistes de recherche pour continuer leur quête. Celles-ci peuvent se partager en deux grandes catégories.
Dans la première, qu’on pourrait qualifier d’approche classique, l’idée générale est que plutôt que de chercher un seul critère pour atteindre les objectifs, il faudrait peut-être mieux chercher une famille de critères de scientificité. Il suffirait alors d’en vérifier un seul pour obtenir la qualification de science. C’est d’ailleurs un travail qui s’inscrit dans ce “programme de recherche en épistémologie” qui a été la cause d’un intense débat sur Twitter2 en 20213, où les deux critères sont : la capacité à décrire et prévoir des phénomènes empiriques ; et l’existence d’un cadre théorique cohérent au sein duquel unifier ces observations.
D’une manière assez proche, on pourrait aussi penser à développer un “score de scientificité” à partir de différents critères (par exemple la falsifiabilité, la reproductibilité, avoir développé un paradigme). Dans cette façon de voir les choses, la scientificité ne serait pas un label, mais un spectre sur lequel les disciplines se situeraient. Cette approche est défendue par exemple dans cet article.
Dans la seconde, qu’on pourrait appeler approche sociale, on ne cherche à expliquer la production des connaissances scientifiques qu’en termes sociaux. Cette catégorie est trop vaste pour que je puisse en dresser un portrait même partiel ici, mais on peut résumer l’idée générale avec l’idée suivante. Le problème de l’astrologie n’est pas que sa méthode n’est pas bonne, lorsqu’on la poursuit avec sérieux on réfute les thèses de la discipline. En revanche ce qui importe ce sont les raisons non-scientifiques pour lesquelles on fait de l’astrologie (psychologie) et l’organisation non-scientifiques des groupes sociaux qui la pratique.
Les approches sociales peuvent être plus ou moins radicales, certaines allant jusqu’à des positions qui ont pour conséquence l’affirmation que deux contextes sociaux différents peuvent donner deux états différents de la science. C’est un exemple de position relativiste. Ceci est d’ailleurs critiqué par les épistémologues de l’approche classique, avec l’idée que les contextes sociaux ayant préfiguré un choix sont eux mêmes déterminés par des raisons épistémiques, par exemple dans ce thread.
Enfin, certains cherchent à combiner les deux approches en argumentant qu’elles ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Plus précisément, les approches sociales permettraient de mettre en évidence les points communs entre toutes les disciplines scientifiques, et comment leur organisation4 favorise l’intelligence collective. Ensuite, emprunter une approche classique pour l’étude de chaque discipline prise individuellement nous permet de comprendre pourquoi elle réussit concrètement à décrire le réel. Ceci évite par ailleurs l’écueil évoqué plus haut, l’idée que si on les compare à la physique, toutes les disciplines paraissent à première vue pseudo-scientifiques.
Dans cette catégorie, on peut par exemple citer cet article, qui voit la science comme une institutionnalisation des critères de rationalité au sein de certaines organisations sociales.
Remerciements
Merci à Quentin Ruyant et Thomas Charrayre pour leurs explications, qui m’ont bien aidé à conclure ce billet.
Notes de bas de page
-
Une proposition, énoncée dans le langage d’une théorie, cherchant à décrire des phénomènes observés. ↩
-
Twitter est l’ancien nom du réseau social X. ↩
-
Le graphique en question avait fait polémique en raison de la manière cavalière et caricaturale (ou perçue comme telle) qu’il a placé la sociologie. Toutefois ce graphique n’avait pas une grande prétention, il s’agissait simplement d’illustrer comment le double-critère fonctionnerait, à partir de considérations effectivement grossières (car ce n’était pas le but) des différentes disciplines. ↩
-
il est d’ailleurs intéressant de noter que les façons dont la physique, l’économie et la biologie sont organisées sont très proches. ↩
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